Le tour du monde en huit jours
Ernest Rougé
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.
Format 21x15 – De luxe – 292 pages – 3 heures de lecture
Un tour du monde extraordinaire, fantastique, fabuleux, n’ayons pas peur des mots, d’un écrivain hors normes. Un tour du monde accompagné aussi par tous les dictons, snobismes, a priori, xénophobies, misogynies, anglophobie, anti-parisianisme, machismes et racismes ordinaires. L’auteur, toulousain d’origine, raconte une histoire vécue qui débute à Marseille, donc une histoire marseillaise vraie.
Roman burlesque
***
Chapitre 1
J'aime bien Marseille. C'est une ville merveilleuse, aérienne, perdue entre une eau lumineuse qui boit le soleil et un ciel d'azur des siècles passés, même si quelquefois la tramontane… non, la tramontane, c'est à Perpignan… même si quelquefois le mistral vous la balaie de fond en comble pour lui enlever la poussière du temps et incliner les passants qui arpentent le vieux port.
Donc, ce jour-là, je descendais la Canebière en direction du vieux port… C'était une belle journée de printemps, je sortais juste d'un café… Oui, c'est ça… je sortais juste d'un café où j'avais écouté les élucubrations de quelques jeunes Marseillais qui proclamaient à cor et à cri que Marseille était la grande rivale de Paris.
Évidemment, Paris et Marseille!… Ce sont des cultures différentes. Une vieille rivalité! A entendre ces jeunes, Paris a le French Cancan et Marseille le Tango argentin… Les Parisiens courent, les Marseillais déambulent… Les Parisiens sont gens pressés et silencieux, pendant que les Marseillais trinquent et bavardent. Dans la capitale, on se bat pour devenir politicien magouilleur. Sur le vieux port, on s'affiche en toute simplicité marin… même si on n'est que marin d'opérette. Paris a des mauvaises odeurs d'affaires véreuses… Marseille aussi, mais quand même avec l'accent et des relents de sardines qui cachent. Paris inventa la conscription et l'impôt, Marseille le pastis et la pétanque.
Que ne faut-il entendre dans les bistrots! Pire, c'était Paris qui, non seulement asphyxiait le commerce du port depuis quatre siècles, mais voulait en plus la mort de l'O.M., la fameuse équipe de foot, avec tous les Parisiens qui jetaient le mauvais sort à la ville… Peuchère! Une galéjade pas croyable! J'avais pris part à la conversation sur le bord du zinc et osé m'interposer devant une telle absurdité, osé soutenir que ce n'était pas possible, que Paris n’avait rien contre Marseille… Bien mal m'en avait pris! J'avais illico écopé du surnom de "Mossaïeu le Taouriste Laïonnais" et pour avoir protesté ne point être natif de Lyon, mais de Toulouse, j'avais aussitôt été traité de "Taoulouzain, traêtre parisiain". J'avais payé le café et j'étais sorti en haussant les épaules… Soyons au-dessus du commun comme le doit être tout écrivain qui joue l'amour avec sa langue! … "L'écrivain qui joue l'amour avec sa langue…". Poétique, non? Je ne suis pas mécontent de moi.
La lumière m'avait rendu le sourire. Les gens respiraient la première chaleur d'un bon soleil encore timide qui sortait de l'hiver et peut-être même des brumes parisiennes. Sourire aux lèvres, les hommes s'interpellaient sur les trottoirs comme dans un village de Basse Provence et les femmes, toutes coquettes, s'agglutinaient aux devantures des magasins comme des abeilles autour du premier prunier en fleur. Avouons-le, on était quand même loin de Paris, cette curieuse ville toute proche du pôle.
J'aime bien Marseille et les Marseillais en général… Les Marseillais sont de braves gens pour la plupart, le cœur sur la main, prêts à vous aider, à sourire au premier venu, chose qu'on ne voit plus de nos jours dans les autres grandes villes, surtout pas à Paris. De bien braves gens, mais on le sait, ils ont le défaut d'exagérer. Ils le reconnaissent d'ailleurs eux-mêmes dans un grand éclat de rire…
– Oui, Mossieu! Parfaitement, Mossieu! Nous, on raconte des galéjades rien que pour le plaisir de la parole, Mossieu le Parisiaïn-Taoulouzain!… Parfaitement! Mais le mauvais sort que tous les Parisiens jettent sur l'O.M. chaque soir, ce n'est pas une galéjade! Vous autres, les Toulousains, vous vous croyez aussi intelligents que les Parisiens! Résultat? Vous êtes aussi cons! Et, peuchère, ce n'est pas une galéjade ce que je vous dis en face, Mossieu! N'est-ce pas, les gars, que c'est pas une galéjade?…. Parce que nous, on sait faire la différence entre une galéjade et la vraie vérité historique!
J'avais bien fait de quitter le café sinon je me serais énervé et allez savoir ce qui serait arrivé! Ces supporters de l'O.M., parlons-en! J'en aurais envoyé une bonne dizaine à l'hôpital! Heureusement je sais me dominer, raisonner. Ce n'est pas pour rien qu'on est écrivain, donc sérieux!
Aussi, disais-je, les Marseillais sont de braves gens, sympathiques, mais il faut se méfier parce qu'ils n'arrêtent pas de raconter n'importe quoi. Il ne faut jamais croire ce que vous raconte un Marseillais, surtout lorsqu’il parle de Paris et encore moins lorsqu'il parle de Marseille.
Je descendais donc la Canebière en direction du vieux port, sur le trottoir de gauche, perdu dans de jolies pensées derrière le corps svelte et la longue chevelure corbeau d'une de ces filles du Sud… une de ces filles de Marseille qui vous donneraient aussitôt l'envie de fredonner l'hymne national… lorsqu'un bip-bip impératif se fit entendre. On n'arrête pas le progrès, c'était le téléphone portable que ma chère épouse avait glissé dans la poche de la veste… Une de ces nouvelles saletés qui, par antennes, relais et satellites, vous relie aux quatre coins de la planète et vous attache à la famille ainsi qu'aux amis et connaissances, comme un chien à une laisse. Si je puis m'exprimer ainsi! Je déteste déjà ce genre de gadget et encore plus m'en servir au milieu d'un trottoir. On a l'air de quoi, je vous le demande?
– Allô!… allô!…
J'entendis à peine la voix lointaine au milieu du brouhaha de la Canebière…
– Et alors?… Quand rentres-tu?… Depuis que tu es à la retraite, je ne te vois plus!
– Mais, enfin …
– Tu devais déjà être de retour avant-hier soir… tu rencontres, juste avant, un vieux copain de quartier, de l'école primaire… hier après-midi, un camarade de collège… et à Marseille!… Coïncidence, n'est-ce pas?
– Écoute, ma chochotte chérie! Je t'ai déjà expliqué! Je ne pouvais rentrer hier soir, c'était trop tard…
– J'espère que tu es enfin sur le chemin du retour!…
– Presque, ma chochotte!
– Comment presque?… Et ne m'appelle pas ma chochotte!
– Non, pas encore, mais c'est tout comme… promis… J'ai laissé la voiture du côté de la gare Saint-Charles, je prends le métro dans un quart d'heure, une demi-heure tout au plus, et je serai à Toulouse en milieu d'après-midi!…
– Comment? Tu n'es pas encore sur la route!
– Écoute! Il fait beau. Je ne suis pas pressé. Je profite du soleil pour faire un tour. Je vais rentrer! Promis… Pour l'instant, je descends la Canebière, je suis près du vieux port. Cinq minutes pour respirer l'air marin et je fais demi-tour! Promis, juré!
– Et tu crois que je vais accepter cette fable après l'histoire que tu m'as racontée hier soir?
C'est bien ma chère moitié! Toujours à douter de ce que je dis!
– Enfin, tu me connais! Est-ce que je suis un menteur?
– Je me le demande!
– Allons, Poupoule! Je ne suis pas un Marseillais, à raconter des galéjades tout le long de la journée!
– Je ne sais pas, mais à force de respirer l'air de Marseille! Et ne m'appelle pas Poupoule!
– Allez! Arrête! Il est dix heures du matin. Je suis dans la voiture à onze heures. Au plus tard à midi… Un déjeuner frugal dans un snack d'autoroute. J'arrive en milieu d'après-midi…
– Je t'attends… Et ne regarde pas trop les jolies filles sur le vieux port!
Ma femme est jalouse… Comme toutes les femmes qui se respectent…
– Allez! Arrête! Enfin, tu me connais… J'ai passé l'âge… Ne te fais pas de souci! A tout à l'heure…
– Oui! Reviens sinon je te jette un sort! Tu sais que ma grand-mère était guérisseuse et qu'on la disait sorcière! Je tiens d'elle! Méfie-toi!
Le ridicule des femmes avec leurs croyances à dormir debout!
– Mais mon petit chou à la crème, tu me connais!
– Et ne me cache rien! Ne m'appelle pas mon petit chou à la crème, c'est grotesque! Arrête, je suis en colère! Je n’ai pas envie de plaisanter!
Ma femme ne plaisante jamais. Elle a déjà assez de mal à saisir mes plaisanteries pour en plus ne pas perdre de temps à en inventer.
– Mais enfin, mon petit lapin, tu me connais!
– Tu ne me cacherais pas quelque chose par hasard?
La voix a changé d'intonation.
– Mais qu'est-ce que tu vas t'imaginer! Je descends la Canebière pour respirer l'air du Vieux Port, c'est tout! Pour m'oxygéner…
– Attention! Tu sais que j'ai des dons de voyance! Je le saurai si tu me racontes des histoires!
Encore ces idioties de femmes. Après la sorcellerie, la voyance! Je m'énerve…
– Mais, à la fin, tu m'ennuies! Arrête de dire des bêtises! Enfin, tu me connais! Si j'avais su, je n'aurais pas pris ton téléphone portable!
– Comment "ton" téléphone portable? "Notre" téléphone! Tu pourrais d'ailleurs m'appeler de temps en temps! C'est toujours moi qui compose le numéro!
J'en serais bien incapable, je ne connais même pas mes numéros de téléphone, ni portable ni statique, vu que je ne me téléphone jamais! Et je ne veux pas les connaître!
– Mais bien sûr, mon petit chat… La prochaine fois, je te promets, j'appelle… J'appelle s'il y a une urgence…
– En tout cas, je rappelle dans un petit moment pour savoir si tu es sur l'autoroute!
– A quoi bon! C'est sûr et certain! Dans une demi-heure, une heure tout au plus, je suis sur le chemin du retour! Allez, je t'embrasse sinon je vais prendre du retard! Bisou… bisou…, ma cocotte!
– Bisou! Je te prépare un cassoulet pour ce soir! Chéri, je t'attends…
Je coupe la communication. Ouf! Saleté de téléphone portable! Une invention du diable! Et le pactole pour les télécommunications et leur ministère! Peuvent élever une statue de trente mètres de haut représentant une femme enlacée à un téléphone gigantesque!
Je reprends le pas de la belle inconnue. Un corps de liane, une petite robe ocre et rouge qui vous attire le regard. A voir les longs cheveux corbeau, ce doit être une fille d'Algérie ou des îles … Peut-être une pied-noir ou une Eurasienne! Et ce goût pour les frusques colorées! Il n'y a que les filles de Marseille à vous insulter tous les hommes de la Canebière en leur balançant au vent leurs mines détachées et leurs silhouettes arrogantes accrochées à des fanfreluches arc-en-ciel! J'en étais là de mes pensées lorsqu'une voix à l'accent du Nord, me fit sursauter.
– Ben donc!… Ce serait-y pas ce cher Eurneust?
Je me tourne stupidement pour apercevoir la face hilare d'un géant qui me toise en riant de pied en cap… Un bonhomme de cent trente kilos, cent cinquante peut-être, un inconnu blondasse et rougeaud avec des taches de rousseur sur le haut du nez, dans un uniforme de colonel d'opérette, sous une espèce de képi de ténor et officier amoureux, une espèce de shako chamarré d'officier voltigeur de la garde impériale repeint en rose bonbon.
– C'est ben toué? Le Tuluzen?
Et devant ma mine ahurie, le quidam ajoute:
–… Prosper Van Der Ghelderaggen! Tu te "souvins ben"?… Le servis' militaèr'? Le p'tit Cuncun?
Il prononce "Cuncun" pour "Quinquin"!
– Ah! Le service militaire! Ça y est, ça me revient! Prosper Quaïnquaïn! Le pee-eutiit cahin-cahin!
Je prononce cahin-cahin avec mon accent toulousain mitigé de narbo-carcassonnais, le pays où on roule les r autant que les épaules…
Un brave gars, le petit Quinquin. Un chtimi, né pratiquement sur la frontière belge. Avec ses deux mètres de haut et son nom à coucher dehors que je n'arrivais jamais à retenir, je l'avais baptisé le "Petit Quinquin" et le surnom lui était resté pour tout le reste de sa vie. Mais, à l'époque, il était aussi mince qu'une flûte traversière d'avant-guerre.
– Voui! L'p'tit qunqun!
– C'est que ça fait vingt… "trrrente" ans qu'on ne s'était pas vus! Plus même! Trente-cinq!
– Qu'j't'ai "commandè" ton dernier livre, y a point trois mois!
– Que tu m'as… Oui! Je me souviens. J'ai envoyé un bulletin de commande à tous les copains du "serrrvice militairrreuh…" Oui, ça me rrrevient maintenant… mais, bou Diou, tu as changé…
Zut! Un de mes rares lecteurs! Il faut que je tombe sur un des trois qui connaît mon visage, sur le seul de toute la chambrée à avoir acheté mon dernier livre… Pour me faire plaisir. Il n'a même pas dû le lire! Sait-il seulement lire?
– Voui! Drôl'ment ben ton épitaphe!
– Mon épitaphe?
– Voui! Ce que t'as mis sur la "permière" pag' avec un stylo!
– Ah! Tu veux dire une préface…
Non! Flûte! Ce n'est pas une préface… Comment oser se prétendre écrivain avec de telles lacunes de mémoire!
– Non! Pas une préface… Ce qu't'as écrit au stylo?
– Oui, je sais… Ça s'appelle! Voyons, voyons… J'en fais pas mal en plus…
Non, le trou! Je ne sais pas! La honte! Et devant un de mes lecteurs! Un de mes rares lecteurs! Déjà que je n'en ai pas des masses!
J'ai beau chercher, me triturer la cervelle, rien! Mon regard se porte sur la jolie petite Marseillaise. Elle s'éloigne là-bas sans se douter du drame affreux qui se noue quelques mètres derrière.
Que va penser un copain du service militaire devant l'ignorance crasse de l'écrivain qui ose lui vendre ses œuvres par correspondance à la manière d’un alpagueur de la lutte contre le cancer? Déjà qu'un véritable écrivain français, même amateur, qui se respecte, doit être incollable sur le vocabulaire littératurien et les expressions littératuresques en vogue à Paris, sans même parler du vocabopulaire à la mode qu'on entend à la télévision ou dans n'importe quel bistrot!
– C'est-y-point une dédicace?
Et en plus, c'est mon lecteur qui trouve! Ça le fait rire! Je le laisserais bien en plan en prétextant un rendez-vous urgent, mais pour une fois que je rencontre un lecteur qui n'appartient pas à mon entourage, je dois faire un effort. Ils ne sont déjà pas si nombreux… Sans compter que Quinquin était à l'époque de notre jeunesse un brave gars…
– C'est ça! Je l'avais sur le bout de la langue… une dédicace!
Menteur! Je ne l'avais même pas au fond du gosier!
Je regarde la jolie fille s'éloigner et se perdre au loin. Je descends à nouveau la Canebière en direction du Vieux Port non plus avec mon vague à l'âme, mais avec un copain de régiment. Vais-je m'en débarrasser ou au contraire renouer une amitié qui pourrait se bonifier avec le temps… Il faut penser au futur acheteur de mes livres à venir!
– Toi, tu n'as pas changé! Dans la lune! lance le Quinquin toujours heureux…
Allons-y pour les compliments! A mon tour… Je ricane:
– Bon sang, ce que tu as grossi! C'est pour ça que je ne te remettais pas tout à l'heure!
– La bonne bouffe, mon vieux!
– Et qu'est-ce que tu deviens?
– Comme je te l'avais dit au service…. tu te souviens quand on montait la garde en plein hiver?… j'ai fait l'école hôtelière! Et j'y suis arrivé! Et toi?
– Moi, je suis dans l'enseignement! Enfin j’étais, parce que je suis à la retraite depuis six mois!
– Veinard de fonctionnaire! Toujours aussi fainéants, les fonctionnaires!
– Arrête d'insulter les fonctionnaires!
– Et qu'est-ce que tu fais ici? Tu n'es plus du côté de Toulouse?
– Oui, toujours… Mais je suis venu voir un ami. Et hier soir, comme il était tard et que j'étais fatigué, j'ai préféré passer une nuit à l'hôtel. Je rentre sur Toulouse dans l'après-midi.
– Pas mal, ton livre! Je regrette pas de l'avoir acheté! Il m'a plu!
Tiens donc! A-t-il seulement lu mon chef-d'œuvre? L'a-t-il terminé? Un brave type comme Quinquin est capable d'un gros mensonge aussi large que sa taille rien que pour me faire plaisir! Brave type quand même! Un mensonge presque marseillais! Il n'y a que les chtimis pour vous faire des mensonges de marseillais!
Nous descendons la Canebière, lui sur le trottoir et moi sur la chaussée. Les senteurs amères du vieux port viennent déjà nous renifler les narines. Non! Ce sont les narines qui reniflent, pas les senteurs! Bof, ce n’est pas grave! Un écrivain peut tout se permettre… Je me tourne vers le Petit Quinquin. Vais-je lui poser la question qui me brûle les lèvres: " – Et qu'est-ce que c'est, cet uniforme que tu portes?"… un uniforme de commandant de cirque, blanc et rose bonbon, à parements dorés, qui fait que toute la Canebière nous suit de milliers de regards incrédules. Même les Marseillais, pourtant gens habitués à tous les carnavals et à toutes les galéjades possibles et imaginables de leurs hommes politiques, paraissent presque étonnés!
Nous parlons du bon vieux temps, des souvenirs de la caserne et nous déboulons enfin sur le vieux port au moment où un flot de voitures s'arrête pour laisser traverser l'uniforme qui m'accompagne. Même le petit train qui monte les touristes à Notre-Dame de la Garde, n'ose pas démarrer en emportant son lot de touristes étrangers ébaubis. Et Quinquin qui ne se doute absolument pas de l'effet qu'il produit! J'entends même un Parisien, genre intellectuel proustien de Saint-Germain-des-Pâturages… qu'est-ce que je raconte… ce n'est pas ça!…. bon sang, sacré mémoire!… de Saint-Germain-des-Prés… des Prés! Ce n’est pas parce que c’est un endroit où les intellectuels viennent brouter aux râteliers des grandes maisons d’édition qu’il faut écrire n’importe quoi!… j'entends donc l'intellectuel proustien grogner sous sa longue chevelure et ses lunettes rondes colorées de mauve:
– Ah! Ces Marseillais! Pas sérieux! Des pitres!
Non! Le petit Quinquin ne s'aperçoit de rien! Il continue à pérorer tandis que j'admire le port. Des centaines de bateaux, de mâts, le clapotis de l'eau entre le quai et les coques, l'odeur du goudron, de la marée et, plus loin, tout au fond vers la digue du Fort Saint Jean, un porte-avions, un immense porte-avions qui bloque presque l'entrée de la rade. Pas un petit porte-avions français qu'on met douze ans à construire, mais un de ces énormes porte-avions comme on en construit tous les six mois aux Amériques!
– Tu as vu ce porte-avions? que je demande tout à coup à Quinquin.
Petit Quinquin explose d'un rire énorme, gargantuesque, stendhalien… chers lecteurs, c'est pour plaire aux critiques littéraires modernes que j'emploie de temps en temps les adjectifs proustien et stendhalien… donc Petit Quinquin explose d'un rire stendhalien derrière son uniforme…
– Un porte-avions? Où vois-tu un porte-avions? C'est le yacht privé de Son Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, le Grand Maharadjah de Burtapan! C'est là que je travaille!…
Incrédule, j'interroge…
– C'est là que tu travailles? C'est toi le capitaine du yacht?
Voilà donc l’explication de la tenue mirobolante qu’il a sur le dos…
– Non! Moi je suis le troisième sous-cuisinier en chef!
Avec un uniforme aussi chamarré, Petit Quinquin n'est que troisième sous-cuisinier en chef? Cela paraît impossible. Comment doit être le premier cuisinier en chef? Il doit ressembler à l'amiral de la flotte du Paraguay dans son grand uniforme de parade! Heureusement que je ne suis pas Marseillais sinon mes lecteurs pourraient penser que je raconte une galéjade, que je galèje! Je m'empresse de les rassurer. Je suis Toulousain, je le rappelle, et tout ce que je raconte est strictement vrai. Je suis prêt à le jurer sur la tête même d'un ministre de la République. Et d'ailleurs on se souvient encore du passage du Grand Maharadjah de Burtapan dans tous les cafés du Vieux Port et on en parle toujours devant les verres de pastis. Vous pourrez vérifier si vous doutez!
– Tu veux visiter le yacht?
Ayant fait mon service militaire avec Petit Quinquin dans un centre de stockage de matériel réformé de l'armée de terre, je n'ai jamais eu l'occasion de visiter un porte-avions. L'idée ne serait pas pour me déplaire, mais je n'aime pas déranger les gens, surtout les étrangers de passage en France. Ne pas donner une mauvaise image de notre pays. Je refuse net.
– Non! Je ne vais pas déranger le Grand Maharadjah de Burpatan…
– Le Grand Maharadjah de Burtapan… de Burtapan!… pas de Burpatan! Tu ne connais rien à la géographie! Pour un écrivain, tu la fous mal!…
Je vais répondre! Ah! Mais, je vais répondre… Cet abruti va encore me raviver le complexe d'infériorité que je garde depuis que j'ai commencé à écrire et à voir tous mes manuscrits refusés à la chaîne par les éditions parisiennes. Je vais le remettre à sa place… Malheureusement, mon ami poursuit sans se rendre compte de mon air renfrogné. Tant pis! Passons! Un écrivain, qui plus est retraité de l'enseignement, doit connaître la géographie! Je connais presque la plupart des pays sur le bout des doigts, mais pour ce qui est du Burpapan… du Burpatan… je ne connais rien. Ça doit être un petit pays perdu, une vallée de l'Himalaya ou un coin de plateau aride entre le pays des Tatars et le désert de Gobi-Gobi. Mais avec du pétrole ou de l'or rien qu'à voir le yacht de cet espèce de Mahométan!… Un espèce de Mahométan comme on en trouve encore! Voyons? Doit-on dire un espèce ou une espèce? Saleté de langue! Heureusement, il y a des trucs d'enseignant qui permettent de s'en sortir! Dit-on: Un espèce de Mahométan droit comme un i ou une espèce de Mahométan droite comme un i? On dit le premier donc, c'est bien ce que je pensais, "espèce" est du genre masculin! (Note de l'auteur: "espèce" est du genre féminin. En fait, n'en déplaise aux grammairiens et académiciens, il serait plus logique que, comme le veut l'usage populaire, "espèce" prenne le genre de ce qu'il spécifie!)
Reprenons après cette digression grammaticale.
Je vais donc répondre vertement, mais le Quinquin poursuit inlassable. La réponse verte, ce sera pour une autre fois…
Au fait, un maharadjah, c'est un mahométan comme un sultan? Flûte! J'hésite! Je la fous mal comme auteur! Ce qu'il faut de patience pour écrire et de connaissances pour se sentir vraiment écrivain comme les écrivains parisiens! Ma pensée vogue tandis que Petit Quinquin pérore…
– Non! Tu ne le dérangeras pas! Le Grand Maharadjah de Burtapan est un homme charmant! Non, crois-moi! Tu ne le dérangeras pas! En plus, je lui ai passé ton livre… Je suis certain qu'il serait ravi de faire ta connaissance!
L'intérêt de l'auteur en quête de renommée se réveille au plus profond de l'ego extrême qui caractérise les écrivains de métier.
– Tu lui as passé mon livre?
– Oui! Un jour, nous étions en pleine Méditerranée orientale et, mon service terminé, j'étais installé sur les bords de la piscine olympique tout à l'arrière du yacht, à siroter un petit champagne et à lire ton petit chef-d'œuvre, lorsque Son Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, est arrivé, entouré de ses trente ministres et de ses douze officiers de la garde personnelle… " – Vous lisez un livre de cuisine?" qu'il m'a dit dans un français impeccable.
J'en suis étonné et je demande confirmation… un maharadjah qui parle français, ça ne court pas les rues!
– Il parle français comme toi et moi?
– Mieux que nous deux!
Je ne relève pas l'affront. Dire à un écrivain français qu'un étranger parle mieux que lui sa langue maternelle, c'est quand même une sacrée injure!… Mais je laisse. Si les écrivains méconnus devaient relever tous les affronts qu'ils reçoivent pour la valeur des chefs-d'œuvre qu'ils enfantent dans la douleur, ils n'en finiraient pas de ferrailler toute l'année avec les éditeurs bien en place, les écrivains célèbres, les hommes politiques, les préfets de région, les commissaires de police, les cousins et cousines, les femmes de chambre et tout le reste de la population! Bref, soyons intelligent! Passons!
– … Son Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, le Grand Maharadjah de Burtapan, est un grand admirateur de la France et de la Culture française! Tout le monde sait ça!
… Sauf moi qui ignorais jusqu'à l'existence de ce fichu majaradjah!… Non!… de ce maharadjah! Tout Marseille connaissait le maharadjah, pas moi! A lire ces lignes, je comprends que quelques lecteurs vont penser: "– Mais quelle ignorance pour un individu qui se dit écrivain et qui ne connaît même pas les grands amis de la France! Mais quelle honte! On croirait une galéjade! Où allons-nous si les écrivains français ne sont même pas capables de connaître le nom…"… Tiens, au fait, comment s'appelle-t-il ce maharadjah de malheur? Saleté de mémoire!
Ma pensée s'envole tandis que Petit Quinquin n'en finit pas de raconter plusieurs fois de suite comment le maharadjah… comment s'appelle-t-il exactement?… c'est malheureux de perdre la mémoire avec l'âge… comment le maharadjah lui a demandé d'une voix suave:
– Vous lisez un livre de cuisine?
– … j'étais tellement ému et tremblant que je m'étais mis au garde à vous comme quand on était de garde et que le colonel Lebec venait inspecter notre dortoir… tu t'en souviens de celui-là… Scrogneugneu qu'on l'appelait!… et je ne savais quoi répondre. J'étais paralysé!
Je voyais d'ici le tableau. Petit Quinquin, ses deux mètres et ses cent cinquante kilos paralysés!…
– … comme la fois où Scrogneugneu nous avait surpris en train de nous servir d'un casque pour préparer une omelette aux champignons…
J'interromps mon vieux camarade. Il ne va pas repartir sur des histoires éculées de notre service militaire que je connais autant que lui!
– Et alors?…
– Et alors, comme j'étais incapable de répondre, que j'étais paralysé, Son Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, le Grand Maharadjah de Burtapan m'a gentiment demandé devant tous les ministres et les gardes qui me dévisageaient avec étonnement: "– C'est un livre de cuisine que vous lisez?"
– Encore?
– Trois fois qu'il m'a posé la question et j'ai enfin réussi à bredouiller: "– Non, Votre Excellence Sublime et Heureuse! C'est un livre d'un auteur français!"
"– Contemporain?"
"– Oui, je crois! J'ai même l'honneur de le connaître. Il a dédicacé l'exemplaire!" que j'ai marmonné…
"– Ah! Très bien! Un cuisinier qui lit un nouveau roman français, ça sort de l'ordinaire! On vit dans un monde où tout est possible! Et ce livre vous plait?"
"– Je l'ai trouvé intéressant!" que j'ai répondu…
"– Quand vous l'aurez terminé, vous pourrez me le prêter?"
J'ai tendu le livre aussi sec:"– Mais bien sûr, Votre Excellence Sublime et Heureuse! Je l'ai même juste terminé!"
– Tu venais de le terminer?
– Non! Je venais juste à peine de le commencer! Mais on obtempère aux désirs d'un homme qui paie son troisième cuisinier en chef avec un salaire de ministre des Finances de France!
– Mazette! que je pense… Il doit gagner quarante fois mon salaire de retraité fonctionnaire non administratif!…
… mais calculer le montant ne m'intéresse pas. Je veux connaître la suite et j'interroge…
– Et alors?
– Et alors, il a pris ton livre…
– C'est tout? que je demande énervé…
Il aurait pu en commander une caisse entière de mon livre avec l'argent dont il dispose, ce sultan de malheur! Même pas un! Il le lira gratis!
– Plus tard, poursuit Petit Quinquin… un jour que je servais le petit déjeuner au sous-secrétaire adjoint du ministre de la Justice, Son Excellence Damir Al Goudrun, m'a dit textuellement:" Il parait que Notre très vénéré et vénérable Son Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, le Grand Maharadjah de Burtapan, a ri en lisant le livre que vous lui avez passé! Il aurait même dit: "Ce livre respire l'humour anglo-saxon! S'il n'a point été traduit de l'anglais ou de l'américain, cet auteur serait donc le plus grand écrivain anglo-saxon de langue française que j'eusse jamais lu!"
– Il a dit ça? Avec le subjonctif?
– D'après le sous-secrétaire, oui!
Je grogne méchamment!
– Qu'est-ce que ça veut dire? Mon livre ne lui a pas plu?
Je m'interroge. Il m'énerve ce grand machin sublime et heureuse d'Excellence! Me faire traiter d'anglo-saxon par un étranger soi-disant grand admirateur des valeurs culturelles françaises! Peut-être qu'il n'a pas apprécié mon style! Il se moque de moi en employant le subjonctif! Son Excellence se paie ma tête. Il a dit cette stupidité comme on dit de quelqu'un qu'il parle le français comme une vache espagnole!
Immédiatement mon vieux complexe de petit auteur français amateur, censuré depuis trente ans par un quarteron de grands éditeurs parisiens tenants du nouveau roman et du Prix Goncourt, me monte comme une fureur à la figure. Mon sang ne fait qu'un tour! Je vais éclater et envoyer à la tête de Petit Quinquin tout ce qui trotte dans mon crâne, mais mon vieux compagnon m'arrête d'un geste auguste de semeur…
– Non! Il a apprécié. Et la preuve! Il m'a fait appeler dans ses appartements pour me rendre le livre et il m'a dit texto comme je te le répète illico: "– Vous avez du goût ou de la chance dans vos choix, mais cet auteur anglo-saxon de langue française m'a beaucoup plu! Il doit vivre à Paris dans le quartier St Germain et j'aimerais bien le rencontrer pour bavarder avec lui! Ah! St Germain! Ma jeunesse! J'ai fait mes études à Paris!… Le Grand Mufti de Padrachangozore avait convaincu mon père que le Prince Héritier que j'étais alors, devait terminer ses études en Occident dans l'endroit même où paraissait régner à ce moment-là l'intelligence!… C'était il y a quarante ans!"… Tu te rends compte! Il a dit ça devant moi et tous ses ministres!
J'éclate de fureur:
– Tu ne pouvais pas lui dire que je n'habitais pas Paris et que je n'étais qu'un auteur amateur, un de tes amis de régiment!
– Penses-tu! Je n'aurais pas osé! On n'interrompt pas Son Excellence Sublime et Bienheureuse quand il parle…
– Quand elle parle…
Vieille habitude professionnelle. Je reprends au vol l'expression fausse de mon ami comme je reprendrais celle d'un de mes élèves et je corrige.
– Pourquoi "elle"? qu'il m'interroge…
– Excellence est du féminin! On dit une Excellence!
– Oui, mais le maharadjah est masculin et c'est un homme! Il a le plus grand harem des Indes Septentrionales!
– L'accord se fait sur Excellence pas sur le harem! On dit une Excellence, pas un Excellence…
– Oui, mais on dit Son Excellence le Maharadjah, pas Sa Excellence la Maharadjah…. Excellence prend le genre masculin avec les rois et les princes!
Je fronce les sourcils. Je n'aime pas qu'un élève réponde et réfute mes arguments, mais j'hésite… Il a peut-être raison. J'ai toujours eu des lacunes grammaticales indignes d'un écrivain amateur et même d'un professeur de surcroît fonctionnaire de l'État français, donc qui doit être parfait, et j'hésite maintenant… Quand je pense que l’État français a peut-être payé pendant toute une vie un ignare en croyant rémunérer un professeur compétent! Mais quelle honte!… Peut-être Petit Quinquin a-t-il raison? D'autant qu'il enfonce le clou…
– En tant qu'écrivain, tu devrais savoir quand même ça!
Là, je m'énerve. Moi, professeur, m'en faire remontrer au niveau règles de grammaire par un vulgaire marmiton? Mais où allons-nous? Quel monde préparons-nous à nos enfants si les élèves et les cuisiniers se permettent de répondre aux professeurs diplômés donc certifiés conformes! Pourtant mieux vaut ne pas envenimer le débat. Les petites gens ont des idées bien arrêtées et ils ne démordent jamais de leurs erreurs même et surtout si elles sont justes! Soyons intelligent comme si j'étais un écrivain parisien! Je ne relève pas l'impertinence d'autant que l'instant est venu de nous séparer. Nous sommes arrivés sur la digue du Fort Saint-Jean et nous approchons du porte-avions, pardon du yacht. Impressionnant vu de près dans son coloris blanc bleuté avec le nom qui se détache seul en grosses lettres majuscules rouges et en relief d'au moins douze mètres de haut. Je peux lire le nom du vaisseau: "La Cucaracha".
– Tiens, c'est bizarre! "La Cucaracha"! Ça fait plutôt mexicain!
– A ce qu'il paraît… enfin d’après le Grand Vizir des Cuisines…. il aurait été baptisé "La Cucaracha" en souvenir du bistrot parisien où Son Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, a appris à deux heures du matin que son père était enfin mort et qu'il héritait du royaume, du harem, des éléphants et de la fortune fabuleuse.
Une chance qu'il n'ait pas appris la nouvelle au "Café de la Gare" ou au "Bistrot du Coin"!
Vraiment impressionnant le yacht et je ne raconte pas des balivernes. Vous pouvez me croire, je ne suis pas Marseillais! Je me trouve, éberlué, devant un mur d'acier qui bouche presque toute l'entrée du Vieux Port, haut de soixante mètres et qui cache le soleil printanier à plus de la moitié de la ville! Et même pas une échelle pour monter sur le pont! Je lève la tête à attraper un torticolis, mais je ne vois rien.
– Comment vas-tu faire pour grimper là-haut? On vient te chercher en hélicoptère?
– Laisse!
Petit Quinquin, alias seconde classe Prosper Van Der Ghelderaggen, sort d'une poche un petit objet moins grand qu'une boîte d'allumettes, appuie sur un bouton minuscule et aussitôt une immense porte cachée coulisse au flanc du vaisseau pour découvrir un hangar aussi large que la gare Montparnasse… Heureusement que mes lecteurs savent que je suis Toulousain sinon ils pourraient penser que je galèje, que je leur monte une galéjade! Non! Je le dis haut et net et je le répéterai autant de fois qu'il le faudra: Je n'ai pas l'habitude de raconter n'importe quoi! Je ne suis pas Marseillais, je le précise pour la dernière fois!
– Voilà l'ascenseur! Tu veux venir visiter le yacht?
– C'est un ascenseur, ça? que je demande, incrédule.
– Non! Les douze véritables ascenseurs sont réservés au Grand Maharadjah de Burtapan et à sa suite. Les cuisiniers de seconde zone comme moi prennent le monte-charge!… Tu viens? Je te fais visiter ma cabine. Tu seras impressionné!
Je fais un signe de dénégation… Je ne vais pas me laisser embarquer… c'est le mot qui convient… sur un paquebot qui a toutes les apparences d'un porte-avions et qui appartient à un émir… non, pas un émir… un sultan… que je n'ai même pas l'honneur de connaître, qui ne m'a pas invité et à qui, de surcroît, je n'ai même pas été présenté!
– Que nenni! Je ne vais pas monter sur le porte-avions de ton sultan!
– De mon sultan?
– Enfin, de ton émir!
Petit Quinquin s'emporte! Sa large figure rougit, son cou de taureau se gonfle, sa poitrine s'élargit davantage sous les dorures rutilantes de l'uniforme. Il éructe d'un coup.
– Non, mais ça va pas? Le yacht du Grand Maharadjah de Burtapan! Traiter le maharadjah d'émir! Quelle ignorance! Pour un écrivain, confondre un maharadjah avec un émir! Et un yacht avec un porte-avions! Tu me déçois! C'est à se demander si tu ne fais pas écrire tes livres par un nègre de la Faculté des Lettres de Toulouse!
L'insulte! Mon sang ne fait qu'un tour. M'accuser de faire écrire mes chefs-d'œuvre par un vulgaire professeur de lettres de la fameuse Faculté des Lettres de Toulouse dont on sait que rien n'est jamais sorti, à part des ronflements comme à l’Inspection Académique de la même ville? Je vais remettre les cent cinquante kilos de ce grand escogriffe franco-belge à leur place. Il va m'entendre. Je m'apprête à répondre vertement, puis je me calme d'un coup. Le fameux self-control des littérateurs professionnels et des Anglo-Saxons! Je ne vais pas m'énerver et crier sur le vieux port de Marseille, au risque de créer un attroupement, pour une accusation ridicule qui en fait n'abaisse que celui qui l'a prononcée. Petit Quinquin n'est qu'un primaire. Il faut savoir faire avec et, une fois de plus, j'admire ma sagesse de vieil écrivain imperturbable que la vie a façonné depuis la naissance!
Je me domine, je maîtrise mes nerfs, je ne réponds pas, je souris même d'un air condescendant de lord anglais examinant un cow-boy texan qui prend le thé perché sur un alezan, mais pas question de monter sur ce rafiot! Je suis un homme de caractère et puisque le "son excellence le maharadjah de je ne sais plus trop quoi" prétend que je suis un écrivain anglo-saxon, autant prendre le flegme britannique avec!
– Non, je ne monterai pas sur ce bateau!
– Pour un écrivain, tu m'étonnes! Une occasion pareille! Je t'offre peut-être la chance de ta vie et tu refuses!
Je m'emporte devant tant d'imbécillité… Je me mets à crier…
– Quelle chance? Crétin! Tu t'imagines quoi?
Petit Quinquin élargit son sourire niais.
– Peut-être qu'il te fera connaître!
Bon sang! Avoir douze lecteurs en dehors de Toulouse et tomber sur le plus arriéré qui s'imagine que la littérature française d'autrefois existe encore! Je m'irrite contre l'ignorance de Petit Quinquin!
– Tu t'imagines qu'il n'a qu'à faire "pfutt abracadabra" et que je serai une vedette littéraire! Je connais les milieux littéraires parisiens mieux que toi! Pour être édité à Paris, j'en connais un rayon… Trente ans que j'ai essayé, en vain!
– Crois-moi! Tu peux toujours essayer! Son Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, le Grand Maharadjah de Burtapan…
– Arrête avec ton Excellence Sublime et Merveilleuse, El Lupanar al Jakalamarat Khan, le Grand Maharadjah de Burpatan… à tout bout de champ! Tu m'énerves avec tous ces salamalecs de titres ronflants!
Je m'emporte encore, si fort qu'un attroupement risque de se former. Je coupe la parole à Petit Quinquin, mais il me regarde en riant si vigoureusement que l'envie me prend de lui envoyer mon poing sur le nez. Heureusement, je reprends mon self-control d'écrivain anglo-saxon! Je ne vais quand même pas m'étriper avec un ami comme le ferait un auteur parisien du nouveau roman avec un critique qui aurait osé l'attaquer dans une revue littéraire inconnue! Je me calme subitement… Petit Quinquin prend un ton affectueux pour ne pas dire condescendant.
– Non! Tu te trompes à chaque mot! Son Excellence Sublime et Bienheureuse… pas merveilleuse… Bienheureuse, El Ubabar… pas El Upanar al je ne sais plus quoi… El Ubabar al Djarakalamat Khan, le Grand Maharadjah de Burtapan… pas de Burpatan. C'est pourtant facile à retenir! Un écrivain doit avoir une bonne mémoire des mots sinon où irions-nous? Fais un effort!
On a beau être un écrivain, même français et à l'humour anglo-saxon, il y a des moments où on a envie d'étrangler un compatriote ou un Belge à cause de cette petitesse d'esprit qui caractérise les gens du continent! Et à plus forte raison, un Franco-Belge!
Je le laisse poursuivre tout en parvenant encore à maîtriser la férocité qui me gagne. Le fameux respect que tout auteur doit à son public ou à son lecteur, surtout lorsqu'il n'en a pas des masses, me retient encore. Je le laisse poursuivre…
– D'autant que le maharadjah va recevoir aujourd'hui le ministre de la Culture!
– De la Culture de France?
Suis-je bête! Il n'y a qu'en France qu'on a un ministre de la Culture qui a de l'importance! Dans les pays civilisés, on laisse le poste à des femmes ou à des écologistes!
Je dresse aussitôt l'oreille. Des fois que j'obtiendrais une subvention ou une médaille… On a beau être soi-disant écrivain anglo-saxon de langue française, on n'en demeure pas moins profondément Français! Vive les subventions et les médailles!
Mais quelle histoire invraisemblable! Heureusement que mes lecteurs savent que je ne suis pas Marseillais… je m'excuse encore d'insister… sinon ils croiraient à une galéjade tellement cette histoire est folle!
– Je ne monterai pas sur le yacht de ton patron! Pas question. Je serai aussi inflexible qu'un Anglais à qui on voudrait enlever le "five o clock tea"…
– Mais ne sois pas ridicule! reprend le géant blondasse qui fut autrefois mon meilleur copain de régiment, mais que je regrette bien d'avoir rencontré ici!
– Non! Je ne grimperai pas sur le pont de ce yacht!
– Tu as la trouille? interroge brusquement Petit Quinquin en ouvrant des yeux de grenouille surprise par la chute d'un vieux parapluie au milieu de la mare. Tu as peur de la hauteur! Tu as le vertige?
Je ricane. Vexé quand même, que mon ami d'autrefois ose prononcer une accusation pareille. Lui qui tremblait comme une feuille morte devant le colonel Lebec!
– Mais non! Je ne voudrais pas tomber sur le propriétaire de ce bateau…
– … de ce yacht…
– … qui ne m'a pas invité! Un point, c'est tout!
– … Mais tu as vu les dimensions! Tu as toutes les chances de ne pas rencontrer le Grand Maharadjah de Burtapan! Et même si c'était le cas, il serait ravi!
–… Je n'ai que faire de ton maharadjah! Je ne suis pas un écrivain de l'Académie à la recherche d'un endroit pour plastronner et montrer son uniforme d'ancien combattant des lettres françaises!
– … Oui, mais tu pourrais rencontrer le ministre de la Culture! Ça ouvre des portes, un ministre de la Culture!
–… Ça ne fait que ça d'ailleurs! Non, je refuse!
–… C'est incompréhensible! Je crois que tu as la trouille! Allez monte!
–… Non!
– Cinq minutes pour te montrer le luxe de mes appartements! J'ai trois pièces pour moi tout seul, un lit à baldaquin, douze armoires et seize tables en bois de santal!
– Non, non et non!
Je peux être têtu!
– C'est à croire que tu as la trouille!
Il insiste encore… Un collège de jeunes filles accompagnées par des religieuses passe à proximité, puis s'arrête devant un car à deux étages fermé à clef, en attente du conducteur. Trois ou quatre classes de gamines au moins, toutes pimpantes, toutes fraîches dans un uniforme bleu et blanc!
– Mais non!
– Mais si! Tu as la trouille!… Il a la trouille, mesdemoiselles!
La mère supérieure fusille de son regard bleu l'effronté directeur de cirque qui ose s'adresser à ses petites collégiennes avec un accent inconcevable, descendu du pôle, tandis que les gamines me fixent de leurs yeux malins comme si j'étais une bête curieuse qui refuse de regagner la cage après son numéro…
Une voix tombe du ciel, dans un jargon incompréhensible…
– Ils s'impatientent là-haut! On bloque le monte-charge! Ils peuvent en avoir besoin! Allez, cinq minutes. Pas plus! Tu ne risques rien! Froussard! que crie mon ami à pleins poumons.
Je vais le tuer! Petit Quinquin me prend par le bras. Il insiste. Je voudrais lutter, mais le regard des écolières qui m'observent et commencent à rire me force à franchir le Rubicon. La malchance! Une malchance de galéjade! La grande maffre noire, la maffra negra, la poisse dans toute sa splendeur! J'aurais pu refuser, mais se faire traiter de froussard et de trouillard sous les regards incrédules d'une bande d'écolières rigolardes et de religieuses outrées! Où est passé le chauffeur? Encore un fainéant de Marseille! Personne à l'horizon! Le car reste fermé et tout le pensionnat nous observe à moins de dix mètres. Je suis obligé d'accepter, je ne vais pas passer pour un couard, mais d'un coup je trouve la parade…
– Mon épouse m'attend!
– Où ça?
– A Toulouse!
– Elle pourra attendre cinq minutes!
– Non! Elle croit que je suis déjà sur le chemin du retour!
– Dis donc! C'est toi qui portes le pantalon ou ta femme?
Les gamines rient aux éclats en m'observant. Même les trois ou quatre religieuses sourient cette fois en coin. Je suis vexé comme un pou noyé dans une lotion capillaire.
En plus, la voix qui tombe du ciel, semble s'impatienter dans un charabia mahométan inconnu…
Je suis piégé, simplement piégé par le destin, obligé d'accepter l'invitation, tout au moins temporaire… Un homme digne de ce nom, qui plus est écrivain, ne peut perdre la face devant une ribambelle de gamines… Je capitule…
– Bon, d'accord, mais pour seulement cinq minutes!
Je quitte le béton du quai pour un sol métallique. Le bruit de nos pas résonne étrangement.
Chapitre 2
Le temps de dire ouf et la lourde porte se referme en coulissant tandis que la gare Montparnasse se soulève à une vitesse qui me coupe le souffle… Quelques secondes et nous débouchons sur une espèce d'immense surface presque à hauteur du sommet de Notre-Dame de La Garde.
– Bonne Mère! que je dis…. "Ça" n'est pas possible!
Proprement incroyable! Je suis au bout d'un petit terrain vallonné de golf de trente-huit ou trente-neuf trous, que traversent en toute simplicité une petite rivière avec un moulin hollandais et une piste d'aérodrome dotée même d'une tour de contrôle en miniature. Un troupeau de quelques éléphants paît tranquillement au loin dans un enclos.
Je reste éberlué et Petit Quinquin profite de la situation pour m'assommer davantage.
– C'est rien, ce que tu vois! La piscine olympique est au fond, de l'autre côté! Les deux Boeing 747 et les huit Airbus sont dans les soutes avec les deux KC135, les cargos ravitailleurs en vol, mais ils peuvent décoller tous en moins d'un quart d'heure!
– Non! Tant que ça?
– L'un des Boeing est réservé au Grand Maharadjah de Burtapan… C'est celui qui est entièrement doré. Il comprend les appartements royaux dont une salle du trône, un salon, une cuisine et trois chambres. Au centre il dispose d'une petite piscine avec plongeoir, car le prince adore la nage. Le second, celui qui est argenté, est destiné aux ministres, intimes, et invités personnels du prince. Quant aux Airbus, ils sont uniquement destinés à transporter le harem et les éléphants…
– Et les deux KC135?
– Ils transportent l'un l'eau douce, l'autre l'eau de mer, pour la piscine du maharadjah…
– Comment ça?
– Ils volent toujours de concert avec le Boeing du prince. Sur le même principe qu'ils ravitaillent en pétrole les avions militaires de combat, soit l'un, soit l'autre, alimente par le même système de perche et de cône récepteur, la piscine du prince selon qu'il désire eau douce ou eau de mer pour son bain…
– Je rêve. J'ai le souffle coupé! Et ce terrain de golf?
– Son Excellence Sublime et Bienheureuse adore le golf et ne peut s'en passer!
– Et ce troupeau d'éléphants?
– C'est le troupeau des éléphants sacrés du Temple de Dzangourk qui doit suivre le Grand Maharadjah de Burtapan lorsqu'il se déplace!
– Mais ils sont roses! Je ne rêve pas! Ce sont des éléphants roses!
– Parfaitement! Ce sont des éléphants albinos. Au royaume de Burtapan tous les éléphants sont sacrés, mais ceux-là le sont encore plus et tous réservés au troupeau du Grand Maharadjah! Un éléphant albinos qui naît dans le troupeau et c'est la fortune pour le paysan qui a cette chance!
– Mais pourquoi les amener ici?
– Depuis la nuit des temps, la tradition, qui a force de loi au Burtapan, veut que le Grand Maharadjah ne puisse sortir du pays qu'avec le troupeau complet des éléphants royaux!
– Et ce yacht aux dimensions pharaoniques, presque aussi imposant que la pyramide de Kheops ou la moitié de la Grande Bibliothèque de Paris? Comment est-ce possible?
– Son Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, le Grand Maharadjah de Burtapan, a eu l'idée extraordinaire d'acheter le vieux porte-avions W.C. FIELDS que la marine américaine voulait mettre au rencard! Pour en faire son yacht privé! Il était trop grand pour le moderniser et le nucléariser. Le maharadjah est l'une des plus grandes fortunes de la planète et acheter un porte-avions au poids de la ferraille ne lui a pas coûté cher! Il voulait un yacht plus grand que celui de la reine d'Angleterre! Par contre le réaménagement total, la piscine olympique, le terrain de golf, la copie du Petit Trianon pour les éléphants sacrés, la piste olympique pour l’entraînement obligatoire des ministres au marathon, les salles des machines raccourcies pour les dortoirs du harem… comme je dis, ça n'a pas été de la tarte!
– Non! Tout ça paraît totalement incroyable! Un Parisien… je précise, pas un Marseillais… m'aurait raconté ce que j'ai vu de mes yeux, je crois bien que je ne l'aurais pas cru! Et pourtant! Je n'en reviens pas…
C'est tout ce que je trouve à dire… Le dur bip-bip du téléphone portable me ramène à la réalité… Encore ma chère épouse!
– Allô, oui! C'est moi! Tu m'entends bien? Tant que ça!… Où je me trouve maintenant? Presque sur le chemin du retour…
Je ne vais pas lui dire que je me trouve sur le yacht porte-avions de Son Excellence Sublime et Merveilleuse, Ali Babar al je ne sais plus quoi, le fameux Grand Sultan de Bartaplan… non, de Burtaplan… non, de Burdaflan… enfin peu importe…elle ne me croirait pas! Elle doute par principe, même si elle reste persuadée que je ne mens jamais! Et je me mets à sa place. Difficile de croire qu'un mari qui devrait juste sortir du métro du côté de la gare Saint-Charles, sort d'un ascenseur qui donne sur un terrain de golf maritime à moins de deux cents mètres d'un troupeau d'éléphants roses! J'enchaîne pour ne pas lui donner le temps de poser des questions trop précises sur l'endroit où je me trouve.
– Je viens de rencontrer un copain de régiment!
– Ah! Encore!
Un "ah" pour le moins dubitatif, pour ne pas dire incrédule…
– Oui! En descendant la Canebière vers le Vieux Port… Oui, je sais… J'aurais dû la monter pour regagner la voiture… Je sais… Bref, je suis tombé dessus par hasard… Comment il s'appelle?… Prosper Van Der Ghelderaggen… Non! Tu as raison! Il n'est pas Marseillais… D'autant que j'ai fait mon service militaire du côté de Sedan, je sais… Si je te dis qu'il existe, tu peux me croire!… Il est originaire de la frontière belge! Je crois que je t'en ai parlé… Petit Quinquin… Non, jamais?… Mais qu'est-ce que tu vas imaginer! Non je ne te raconte pas une histoire belge ni marseillaise… Je me trouve sur les quais et je suis en route pour la gare dans cinq minutes! Je rentre dans la première station de métro et je grimpe dans la voiture!… Dans dix minutes tout au plus!
Et je dis ça juste au moment où, cent mètres en dessous, les gamines du collège poussent des cris stridents à l'arrivée certainement du chauffeur qu'elles attendent…
– Qu'est-ce que c'est, ces hurlements hystériques? gronde l'épouse…
Saleté de téléphone portable!
– Ces cris que tu entends? La foule sur le port!… Mais non… Ne me fais pas rire avec tes suppositions ridicules, tes visions! Sois sérieuse, une fois!… Non, je ne me trouve pas sur un yacht entouré de jolies filles!…. Non! Je ne suis pas sur un yacht en compagnie de jolies filles! Non! Non, non… Comment? Les cris que tu entends? Il s'agit des poissonnières qui vendent le poisson… Comment où ça dans le métro? Mais non… Sur les quais, parfaitement…. C'est jour de marché… qu'est-ce que tu vas t'imaginer encore! Mais je ne t’ai pas dit que j’étais dans le métro! Je t’ai dit que j’allais me diriger en direction du métro! Je suis sur le chemin du retour! Je quitte les quais! Comment ça?… Tu ne me "sens" pas près de la Canebière, mais plutôt en hauteur ou sur une barque? En haut d'un mât peut-être en train de scruter l'horizon? Que vas-tu chercher là avec tes soi-disant dons de voyance! Tu es d'une jalousie maladive! Ne sois pas ridicule!
Ce n'est pas une galéjade. Ma femme prétend avoir hérité des dons de sa grand-mère qui les tenait d'une arrière grand-mère vaguement tzigane et cela m'a toujours fait rire! Il n'y a que les femmes pour accorder foi à toutes ces croyances naïves qui défient le bon sens… Heureusement que les hommes ont l'esprit un peu plus cartésien et ne croient pas à n'importe quel bobard!
– Mais si! Je serai de retour en fin d'après-midi au plus tard! Croix de bois, croix de fer, si je mens j'irai en enfer!
Elle coupe enfin la communication tout en m'avertissant qu'elle rappellera dans une heure… C'est malheureux d'avoir une épouse qui vous surveille constamment, vous flanque une saleté de téléphone portable dans la poche du veston pour savoir où vous êtes et doute toujours de toutes les explications que vous pouvez fournir!
Je me tourne vers Petit Quinquin qui me montre toutes ses dents de contentement…
– Tu dois point avoir une femme facile à vivre! qu'il me lance sur un ton gouailleur qui ne me plaît pas du tout…
– La plaisanterie a assez duré! Allez, fais moi descendre! Il faut que je retourne à ma voiture le plus rapidement possible!
Maintenant que les bonnes sœurs et leur pensionnat ont déguerpi, je peux descendre sans croiser des regards sournois et moqueurs.
– Mais, tu n'y penses point! Je t'ai pas encore montré mes quartiers! qu'il reprend avec son accent du Nord.
Je vais répondre vertement et exiger, mais je vois soudain Petit Quinquin détourner son regard au-dessus de mon épaule, se figer et son visage verdir d'un coup, tandis qu'une respiration oppressée sort de sa poitrine.
– Qu'est-ce que tu as?
Il titube presque et a à peine la force de grogner…
– Son Excellence Sublime et Bienheureuse vient vers nous!
Je me tourne brusquement pour apercevoir à deux cents mètres, au milieu de la piste d'envol, une cohorte bariolée de princes et de diplomates orientaux suivant un petit vieillard qui se dirige droit sur nous, l'air furieux… Un petit homme à la peau sombre mais au visage glabre, à part une barbichette orgueilleuse qui pointe vers l'avant… D'un mètre cinquante, un mètre cinquante-cinq, pas plus, habillé d'un pantalon et d'une veste de soie mauve à parements rouge cramoisi et jaune citron… mais qui heureusement, pour se distinguer des autres chamarrés qui le suivent dare-dare, porte fièrement sur le haut du crâne un immense turban orange et vert où brillent les feux d'une bonne dizaine de diamants de la grosseur d'œufs de pigeon. Un turban inimaginable, digne du Grand Mamamouchi, heureusement surmonté d'une plume d'autruche qui donne au prince une taille de plus de deux mètres cinquante… non, deux mètres vingt-cinq, n'exagérons pas quand même!
C'est lui! En chair et en os! Son Excellence Sublime et Bienheureuse, Grand Maharadjah de Burtapan, suivi de sa foule de courtisans et de ministres aussi bariolés qu'une troupe de cirque du siècle des lumières, s'approche à grands pas et mon ami Petit Quinquin tremble de plus en plus…
Une voix furieuse de baryton enroué avec un soupçon d'accent oriental hurle dans un français presque parfait:
– Dites donc, Herr Van Der Ghelderaggen, vous connaissez les ordres?… Ce n'est pas parce qu'on est le troisième sous-cuisinier privé chargé des hors-d'œuvre qu'on peut faire venir un visiteur à bord! Je ne veux personne hormis ceux que j'autorise! J'ai interdit la visite de "La Cucaracha" à tous les étrangers! C'est moi qui invite et personne à ma place!
L'œil du prince est féroce, la barbichette menaçante, la plume du turban s'énerve brusquement et vacille sur le sommet de l'édifice. Je prépare déjà mes excuses et tant pis, j'enfoncerai Petit Quinquin! Il l'a cherché! Je ne voulais pas monter et il m'a forcé, contre mon gré, à entrer dans la gare Montparnasse. C'est affreux, mais c'est la vie! Pourtant un remords me prend. Non! Je ne suis pas un de ces écrivains engagés, progressistes et parisiens qui donnent des leçons de morale au monde entier et se croient ensuite tout permis, y compris d'enfoncer les petits et les obscurs considérés comme non-intellectuels donc ne possédant ni droit, ni cerveau! Je ne vais pas lâcher Petit Quinquin devant ce Nabab d'un Royaume d'Opérette qui doit se targuer en public d'être un prince démocrate et se conduire en privé comme un dictateur de pays arriéré ou de bureau de sous-préfecture du midi de la France. Jamais de la vie! Je vais faire face en bon républicain français! Ici, la devise est "Liberté, Égalité, Fraternité"! Égalité, mon vieux! Tous égaux! Je me prépare à répondre vertement, mais le pauvre Quinquin me devance…
– C'est que, Votre Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, Grand Maharadjah de Burtapan, c'est l'auteur du livre que je vous ai prêté et je voulais simplement lui montrer le yacht privé de Votre Excellence!
A ces quelques mots, d'un coup, le visage sombre du potentat oriental s'irradie d'un sourire qui dévoile le blanc d'ivoire d'une dentition parfaite de petit carnassier et, pour la première fois, il tourne son regard dans ma direction.
– Ah! Mille excuses! Il fallait le dire aussitôt! Vous êtes donc l'écrivain anglais de langue française?
Je vais répondre vertement! J'en ai assez qu'on se moque de moi! Mais je réfléchis vite. Je ne vais pas manquer la chance de ma vie pour une petite question d'amour-propre. Il faut être intelligent, aussi sournois qu'un écrivain parisien connu, et j'ose sourire à mon tour en indiquant d'un petit air amusé:
– Non! Je m'excuse, Vénérable Éminence… je ne suis pas Anglais…
A ces paroles pourtant banales, je sens un frémissement d'horreur parcourir l'assistance entière des ministres et chambellans et je m'arrête interdit… Quelques ministres ont même poussé des "Oh!" indignés au possible… Est-il possible que le fait de ne pas être Anglais me condamne aux yeux de ces indigènes arriérés?
Le prince lève une main bourrée de bagues…
– Excusez-moi! Je ne suis pas Vénérable Éminence… Dites simplement Excellence Sublime et Bienheureuse quand vous m'adressez la parole et tout sera dans l'ordre! Vous allez traumatiser tout le gouvernement!
Un ministre, une espèce de minuscule escogriffe à peine plus haut que son maître et lui aussi enturbanné, ose s'avancer d'un pas, se courber en deux jusqu'à frôler le sol avec son turban vert olive et miauler un refrain en hindoustani, une espèce de psalmodie malheureuse …
– Parle français pour mon hôte! ordonne le prince sans même daigner un regard en direction du Grand Serviteur… C'est Son Excellence le Grand Vizir du Protocole Doukkour Patakhan Al Radock qui ose m'interrompre…
Le ministre reste pétrifié, toujours cassé en deux et ne dit plus un mot…
– Parle! ordonne le prince… Traduit tes propos!
– Votre Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, Grand Maharadjah de Burtapan, vous n'y pensez pas! Déjà qu'on a diminué de moitié la formule de politesse de Votre Excellence Sublime, Valeureuse et Bienheureuse, Descendant du Gautama Bouddha, Protecteur des Arts et des Hommes, Fils aîné de la Terre, Prince de la Lumière, Roi des Éléphants et des Singes, El Ubabar al Djarakalamat al Takara al Koukatak, Grand Maharadjah de Burtapan, Grand Calife de Krishisnar …
– Arrête! ordonne le Grand Maharadjah dans un souffle léger…
Un silence énorme tombe sur le malheureux courtisan qui s'affaisse presque comme sous le poids d'un mur invisible.
– … et ne te relève que lorsque je marcherai… ajoute le prince
Le prince sourit davantage et reprend:
– Votre livre m'a beaucoup plu! Félicitations et croyez-moi, je suis difficile. J'ai ordonné à toute la Cour de le lire et notre ami commun, l'aide-cuisinier qui est à vos côtés, s'est fait un plaisir de le passer à tous mes ministres, y compris à Son Excellence le Sérénissime Grand Vizir, Ministre du Reste du Monde et Grand Chancelier des Ambassades, Agaratouk Bardakkan Ul Gomarabika, qui s'est permis de m'en faire la lecture…
Un vieux barbu, enturbanné de blanc de la tête aux pieds et aussi âgé qu'un parchemin turc, s'avance avec difficulté pour s'incliner devant le prince, puis me saluer bien bas en cassant sa longue silhouette maigrichonne presque jusqu'au sol. Je rends le salut au ministre en inclinant la tête.
C'est bien ce que je pensais! Je suis fier, mais en même temps, j'ose me dire:" – Il aurait quand même pu en commander une caisse pour tous ses ministres! Déjà que je n'ai pas beaucoup de lecteurs, si, en plus, ils se mettent à soixante pour lire chaque exemplaire que je vends sans compter ceux que je donne, ce n'est pas demain que je rembourserai mes frais et ma dette au fisc français!"… Mais, aussi stoïque qu'un Wellington devant Trafalgar, je laisse de côté ces petites pensées mesquines pour me concentrer sur l'objectif principal que je devine! La chance inespérée… La chance qui est enfin là, toute proche, à saisir… Décemment, je ne peux la laisser passer… D'autant que le prince ajoute…
– … J'ai rendez-vous avec votre ministre de la Culture et je viens d'ailleurs ici pour l'attendre. Il ne va pas tarder avec sa suite!
Lier connaissance avec un ministre de la République! Le début de la gloire! Ces gens-là, ça tient les cordons de la bourse et des subventions et ça vous ouvre toutes les portes! Un mot du ministre de la Culture au bout d'un téléphone et tous les éditeurs parisiens m'accueilleront à bras ouverts. Je me vois déjà "goncourtisable!". Tout est pour le mieux et c'est évidemment à cet instant qu'un petit bip-bip me fait sursauter. Déjà! Elle n'a pas attendu une heure!
Je souris stupidement, puis je bredouille…
– Le téléphone portable… C'est encore ma femme… Veuillez m'excuser, Vénérable Excellence Sublime et Radieuse, El Apapar al Djasamalarat Khan, Grand Vizir de Bardaban…
– Vous voulez sûrement dire Son Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, le Grand Maharadjah de Burtapan… maugrée Son Excellence le Grand Vizir du Protocole Doukkour Patakhan Al Radock toujours cassé en deux derrière son maître…
Le maharadjah a un geste d'énervement…
– Touche le sol avec ton front! ordonne-t-il au malheureux qui se casse aussitôt davantage… Ne faites pas attention, ce n'est pas grave, une erreur de prononciation… Téléphonez, je vous prie…
Je sors le minuscule appareil de la poche…
– Allô! Oui, ma petite poulette, c'est moi…
A l'autre bout du fil, je devrais dire du satellite, la voix de ma tendre moitié fulmine…
– Alors? J'espère que tu es sur le chemin du retour? Et ne m'appelle pas "ma petite poulette"! J'ai l'impression que ça cache quelque chose!
– Mais qu'est-ce que tu vas imaginer!
– J'espère que tu es sur le chemin du retour? Réponds au lieu de détourner la conversation!
– Non, pas encore… Je ne suis pas parti…
–Et pourquoi?
Tout à coup, une idée lumineuse me traverse le crâne. Une petite idée géniale d'écrivain! Une idée tellement simple que même un écrivain du nouveau roman à la mode aurait pu la trouver tout seul sans l'aide d'un nègre de talent accrédité par l'éditeur!
– Écoute! Je suis dans un garage, la voiture est en panne…
Je respire en croisant les regards incrédules et admiratifs du maharadjah et de tous ses ministres… Même Son Excellence le Grand Vizir du Protocole ose lever un bout de nez interrogateur au ras des marguerites, au risque d'être décapité si le maharadjah se retourne…
Je poursuis la conversation sous les yeux maintenant intéressés de l'assistance.
– Non! Ce n'est rien!… Le béquet du démarreur s'est coincé dans le radian du carburateur! Mais non, je ne te raconte pas d'histoire! Tu me connais?… Comment, justement?… En fin d'après-midi, je rentre! Promis, juré… Le garagiste, il l'a dit:"– Té, mon brave monsieur, ce soir vous êtes à Toulouse avec une voiture comme toute neuve!" Tu ne me sens pas dans un garage, mais plutôt sur une montagne? Qu'est-ce que tu vas inventer avec ton intuition féminine et tes visions? Laisse-moi rire!… Ah! les femmes!
Je hausse un sourcil d'homme supplicié et je jette un clin d'œil de connivence en direction du maharadjah et de ses ministres qui sourient tous poliment et me rendent des signes d'encouragement, sauf Son Excellence le Grand Vizir du Protocole qui ose émettre un petit ricanement au risque, comme tant d’autres, d'avoir une mort accidentelle dans le port de Marseille…
– Je suis dans un garage, ma cocotte… Comment ça, tu me vois plutôt entouré de soies de couleur? Dans un garage, tu n'y penses pas? Comment, au sommet d'une montagne? Il n'y a pas de montagnes à Marseille!… Ou sur un toit d'immeuble? Et qu'est-ce que j'irais faire sur un toit d'immeuble? Poser des antennes de télévision?…
Puis brusquement une nouvelle petite idée géniale presque digne d'un grand écrivain publié chez Jullimard pour me sortir de ce mauvais pas…
– Ah! mais attends! Tu as raison. De l'entrée du garage où je suis, je vois des robes qui sèchent sur un balcon du sixième étage de l'immeuble d'en face!
– On ne fait pas attendre Son Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, le Grand Maharadjah de Burtapan… ose grogner à voix basse et à l'adresse du green Son Excellence le Grand Vizir du Protocole Doukkour Patakhan Al Radock.
– Bon, je m'excuse, mais le garagiste m'appelle… Mais bien sûr, tu ne me déranges jamais, ma doudou! Bisou, bisou…
Je ferme la communication…
– Excusez-moi, Votre Excellence, mais vous savez ce que c'est, les femmes!
– Vous pensez si je sais! J'en ai trois mille dans mon harem qui entre cette année pour la trentième fois de suite dans le livre des records! Maintenant, un conseil d'ami si vous permettez! Ne lui laissez pas un téléphone continuellement à portée de main! Le téléphone est une maladie typiquement féminine! Il y a deux ans, j'avais acheté en France au prix de gros et en pensant faire une affaire, un lot de trois mille téléphones portables pour le harem! Et le mois suivant, non seulement j'étais devenu sourd à entendre des récriminations à tout bout de champ, mais pour la première fois de son Histoire glorieuse, le budget du Grand Royaume de Burtapan avait viré au rouge au profit des Télécoms de France! Il a fallu que je donne l'ordre aux eunuques de retrouver et de saisir par la force tous les téléphones et ça leur a pris deux mois entiers!
Je souris poliment tandis que tous les ministres secouent la tête d'un air entendu et que Son Excellence le Grand Vizir du Protocole Doukkour Patakhan Al Radock toujours le nez dans l'herbe se permet de louer la gentillesse profonde et l'intelligence de jugement du maharadjah…
– Je te remercie Grand Vizir du Protocole, mais je t'interdis désormais de dire un mot tant que je n'ai pas avancé d'un pas!
Je décidai d'intervenir en faveur du malheureux. Mes principes philosophiques d'Occidental et d'écrivain m'interdisaient de voir un tel spectacle et l'avilissement d'un homme, fut-il même Grand Vizir du Protocole d'un royaume arriéré!
– Votre Excellence Grandissime et Sérieuse, El Upanar al Radjamalakat Khan, Grand Marabout de Partapan…
Le prince sourit avec condescendance et prononça ces mots qui me parurent sur le moment incompréhensibles…
– Mon cher ami, vous êtes peut-être un bon écrivain, mais vous ne ferez jamais un bon diplomate ni un bon ministre!
– Excellence Sublime! Je vous en prie grandement! Faites un pas en avant pour autoriser le Grand Vizir du Protocole à se relever!
Le Prince sembla amusé.
– Voilà bien les Occidentaux! Prêts à dicter aux souverains ce qu'ils doivent à leurs peuples! Vous connaissez bien mal l'âme des gens! Regardez!
Le Maharadjah de Burtapan fait un pas en avant, mais Son Excellence le Grand Vizir du Protocole Doukkour Patakhan Al Radock reste toujours cassé en deux à brouter le gazon du terrain de golf.
– Il ne se relèvera plus jamais en ma présence par votre faute!
Je me sentais honteux comme un voleur débutant pris la main dans le sac d'une vieille postière de village ou un intellectuel parisien à la mode surpris dans un couloir de métro par un journaliste de télévision. Je soufflai:
– Mais pourquoi donc?
– Vous l'avez vexé à mort pour avoir osé intercéder en sa faveur! Vous avez ravalé le Grand Vizir du Protocole, tout fier et tout content d'être puni par son maître tant aimé, au rang de chien bâtard de la dernière servante dont on me demanderait la grâce parce qu'il a osé crotter le tapis de la salle du trône! Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous avez osé commettre!
Une sueur froide coule dans mon dos. J'ose un regard en direction du Grand Vizir toujours à quatre pattes et je croise l'œil féroce, noir, glacé, plein de haine d'un homme dont je viens de bafouer l'honneur de toute une vie devant son prince et un parterre de ministres… L'impression d'être un mort en sursis! Heureusement le rire du maharadjah secoue la plume du turban…
– Un mot et j'arrange tout!
J'attends et l'œil noir du Grand Vizir me quitte pour se poser en douceur sur le prince… Celui-ci prend une pause et un ton solennels tandis que tous les turbans s'inclinent pieusement…
– Parce que moi seul, son Maître, Mon Excellence Sublime, Valeureuse et Bienheureuse, Descendant du Gautama Bouddha, Protecteur des Arts et des Hommes, Fils aîné de la Terre, Prince de la Lumière, Roi des Éléphants et des Singes, El Ubabar al Djarakalamat al Takara al Koukatak, Grand Maharadjah de Burtapan, Grand Calife de Krishisnar, le veux et l'ordonne dans ma Sagesse Suprême: Son Excellence le Grand Vizir du Protocole Doukkour Patakhan Al Radock se relève à mon claquement de doigts! Clic, clac!
Le Grand Vizir bondit comme un ressort à boudin et se retrouve illico au garde-à-vous… Je reste médusé devant tant d'agilité.
Petit Quinquin me donne un coup de coude et me glisse dans l'oreille…
– T'as vu l'obéissance… Même devant Scrogneugneu, on n'était pas aussi rapide!
Le maharadjah sourit…
– Cher auteur, permettez que je vous invite à mon humble table… J'attends le ministre de la Culture de votre beau pays. Il sera ravi de vous rencontrer.
Je prends mon courage à deux mains.
– Je regrette, votre Excellence, mais mon épouse m'attend…
Le sourire du prince s'élargit…
– Allons, je me doute que lorsqu'on n'a qu'une épouse, on doit évidemment y tenir quelque peu, mais je vous en prie… Oseriez-vous m'offusquer? Oseriez-vous offusquer Son Excellence Sublime et Bienheureuse, El Ubabar al Djarakalamat Khan, le Grand Maharadjah de Burtapan en personne?…. Au risque de provoquer une crise internationale entre nos deux pays et de léser les intérêts français au Burtapan? Ce Burtapan à odeur de pétrole et d'or où vos présidents de la République cherchent consciencieusement depuis trente ans à prendre la place de quelques sociétés américaines et anglaises qui pullulent chez nous?
Là, évidemment, je ne peux pas…. Décemment, non… Bobonne attendra… Le devoir civique m'appelle… Je trouverai une explication dès qu'elle m'appellera au téléphone. Je ne suis pas en manque de créativité!
…
© E.Rougé & Éditions du Paradis
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