Et rime la galère.
Recueil de dix-huit poésies
Ernest Rougé
Il courait, Mamadou tout en riant, il courait
Dans la rosée des prés, vers la grande forêt.
Le fleuve Sénégal, était loin, dans un rêve,
Là-bas jouent les enfants et le soleil se lève...
Il courait dans le froid, vers la forêt, au loin
Transparente, perdue, dans la brume sans fin.
Là-bas le grand ciel bleu, au-dessus du village,
Illuminait encore un monde d'un autre âge.
Les pieds s'épaississaient dans l'argile, collés,
A la terre agrippés, la boue jusqu'aux mollets.
Là-bas ondulaient, bleus... verts, rouges, jaunes, flammes,
Les sarraus flamboyants, couleurs vives des femmes.
La forêt approchait. Même venus d'ailleurs,
En ordre, obéissez! Avancez tirailleurs!
Là-bas dans sa jeunesse, heureux, content, affable
Toujours libre il était, comme le grain de sable.
Un choc, un ciel trop gris, la balle le faucha
Un claquement, un cri, et le sol l'accrocha.
Là-bas sur l'océan, ce même matin, voguent,
Sous l'azur, les pêcheurs, sur les longues pirogues,
Regard transi: l'herbe que secouait le vent
Un brin d'herbe perdu, regard final d'enfant.
Là-bas frères et sœurs, jouent, rient, bouches ouvertes
C'est toute la forêt sauvage qui est verte.
Mamadou est parti, dans l'éclair d'une flamme,
Ne rira plus jamais, vers le chemin des Dames.
Je suis le révolté, je suis le méchant nain!
On me montre du doigt, du soir jusqu’au matin,
Dans la cour d’école, depuis la prime enfance,
Nul n'entend mes discours! Des cailloux, je leur lance!
Ils détournent les yeux! Si je ris, je fais peur.
Si je pleure, ils s’égayent et me pensent acteur.
La maîtresse annonce, à tous ceux de la classe,
Que je suis bon à rien, et tire ma tignasse.
Je suis au fond du cours, près du radiateur.
Pas un n'a mes peines ni même mes rancœurs!
Avec une fourmi, une boîte, une paille
J’invente des jeux fous et, pour finir, je baille.
Ma mère aussi se plaint, lève les bras au ciel,
Il paraît que je suis trop caractériel!
Je n’écoute jamais les illustres personnes
Qui me voudraient du bien! Enfin la cloche sonne!
Dans la cour je me bats contre tous les garçons
Seules, les filles n’ont aucune attention
Pour mes guerres sans fin! Quelquefois, dans un rêve,
J’en vois une sourire, et je signe une trêve.
La maîtresse grogne: "Apprends donc tes leçons!"
J’entends d’un cœur distrait!. Trop longues, elles sont!
"N’oublie pas les devoirs de math et de grammaire!"
Pourquoi? Je ne veux pas être aidé par ma mère!
Plus tard, dans quelque temps, je serai footballeur
Ou peut-être gangster... ou mieux, méchant boxeur!
Les garçons auront peur! Et gare à la maîtresse!
Ce sera à mon tour de lui botter les fesses!
© E.Rougé & Éditions du Paradis
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